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La logique classique
(André Brouty avril 1996)
Cet exposé est sous licence libre LLDD.

L'exposé qui suit ainsi ainsi que ceux sur le calcul des prédicats et les logiques non classiques, proviennent de notes de cours que le Professeur Jean-Louis Gardies, de la Faculté des lettres de Nantes a donnés durant l'année universitaire 1979-1980 dans le cadre d'un enseignement de philosophie et constituant un des deux modules de la Licence de Logique que délivre cette Université.

Introduction.

La logique classique dite aussi logique des propositions ou encore logique d'ordre zéro, date de l'antiquité et est assez bien divulguée mais principalement sous sa forme sémantique des tables de vérité et rarement sous sa forme formelle contemporaine.

Ici nous exposerons le système formel syntaxique en utilisant le formalisme peu connu de Lukasiewicz et ferons quelques calculs dans ce formalisme afin de mieux saisir pourquoi il n'est pas enseigné aux débutants.

La logique classique est le système formel le plus simple qui possède les bonnes propriétés qu'on attend d'un tel système. Il est complet, décisoire et non contradictoire. Un idéal qui ne se reproduira pas pour des systèmes plus évolués et plus utiles.

Description du langage

Pour décrire un système formel il faut disposer d'un langage composé d'un vocabulaire terminal, appelé aussi alphabet, d'un vocabulaire auxiliaire, d'une grammaire, d'axiomes, de règles de réécriture et de règles de déduction. Le langage décrivant la logique des propositions est composécomme suit:

Le vocabulaire terminal

{C,N,a,b,c,d,.....,p,q,r,s,t,.......} les points représentant une infinité éventuellement non dénombrable de termes.

Il contient les termes premiers de la théorie.

Le vocabulaire Auxiliaire

{V,E}

La grammaire

V ---> a|b|c|d|.....|p|q|r|s|t|...............
E ---> NE|CEE|V
Les mots de ce langage obtenus par cette grammaire sont appelés Expressions Bien Formées ou EBF. En anglais on dit WFF (prononcer wouf!) pour Well Formed Formulae. V représente les variables propositionnelles. E est le point d'entrée de la grammaire. Cette grammaire tès simple est définie de manière récursive ce qui permet de décrire une infinité d'expressions dans ce langage. Signalons pour mémoire qu'en 1933 on a donné une grammaire non récursive du langage, dite grammaire descriptive.

Les axiomes

  1. CCpqCCqrCpr
  2. CCNppp
  3. CpCNpq
Ce sont les trois axiomes de Lukasiewicz. On appelle thèse une EBF qui est soit un axiome, soit déduite des axiomes par les règles suivantes.

Les règles de déduction

Ces règles sont décrites dans un métalangage, ici la langue française.
  1. Règle de substitution [R1]
    Si dans une thèse du système on substitue à une variable, à chacune de ses occurences, une EBF, on obtient une nouvelle thèse.
  2. Règle de modus ponens (ou de détachement) [R2]
    Si on a comme thèse du système d'une part l'expression g et d'autre part l'expression Cgh, alors on peut admettre également h comme thèse du système.
Parfois on rajoute au système d'autres termes pour condenser l'écriture des EBF et faciliter l'utilisation du système. Dans le cas de la présentation du système de Lukasiewicz on peut rajouter les quatre termes: A,K, D et E. Mais cela oblige à rajouter de nouvelles règles d'utilisation de ces termes nouveaux.
  1. Règles de remplacement ou de réécriture [R3]
    CNpq --> Apq
    NCpNq --> Kpq
    CpNq --> Dpq
    NCCpqNCqp --> Epq
C'est-à-dire qu'on est autorisé dans une EBF à remplacer la partie gauche quand on la rencontre par la partie droite des règles de réécriture.

Exemples de déduction ou de démonstration formelle

Montrons sur un exemple simple comment à partir de ce système on effectue une démonstration formelle.

Soit à montrer Cpp ( (p) ==> (p) ):

[1] CpCNpqaxiome 3 de Lukasiewicz
[2] CpCNpp règle [R1], p remplace q dans [1]
[3] CCpqCCqrCpraxiome 1 de Lukasiewicz
[4] CCpqCCqpCpprègle [R1],CCpp remplace q dans [3]
[5] CCpCNppCCCNpppCpprègle [R1],CNpp remplace q dans [4]
[6] CCCNpppCpprègle [R2], détachement C[2] - [6]
[7] CCNpppaxiome 2 de Lukasiewicz
[8] Cpprègle [R2], détachement C[7] - [8]

Soufflons un peu!

La présentation que l'on vient de faire de la logique des propositions est celle de Lukasiewicz. C'est une présentation formelle syntaxique. Lukasiewicz utilise une notation peu enseignée appelée Notation polonaise qui a l'avantage de ne pas nécessiter de parenthèses, de permettre la reconnaissance automatique des EBF facilement, mais a l'inconvénient d'être assez difficile à manipuler pour le débutant, et même les autres!.

Cette description est purement syntaxique, et n'a pas de signification en soi, c'est le principe du système formel. Cependant cette théorie peut être interprétée et c'est précisément à partir de l'interprétation que l'on a construit le formalisme afin de mieux en étudier les propriétés et les fondements.

Interprétations des EBF et axiomes

Examinons les axiomes de Lukasiewicz

formalisme de Lukasiewiczformalisme de Russel
CCpqCCqrCpr ((p) ==> (q)) ==> [((q) ==> (r)) ==> ((p) ==> (r))]
CCNppp ((~p) ==> (p)) ==> (p)
CpCNpq (p) ==> ((~p) ==> (q))

Le premier axiome est la la loi du syllogisme hypothétique
Le second axiome est la loi de clavius ou le raisonnement par l'absurde.
Le troisième axiome est la loi de Dun Scott

Aspect sémantique: la notion de validité.

Avant d'aborder les notions importantes de consistance et de complétude disons quelques mots sur la notion de validité qui est très classique. Il est possible d'interpréter la théorie formelle que l'on vient de développer en associant à chaque EBF une valeur, par exemple numérique. On dira qu'une thèse a la valeur 1 et que sa négation la valeur 0. C'est l'aspect sémantique bien connu surtout avec les fameuses tables de vérité. Une EBF qui prend la valeur de vérité 1 quelle que soit la valeur de ces composants est appelée une tautologie. On montre facilement que les axiomes ainsi que les thèses qui sont dérivées sont des tautologies. Donnons pour mémoire les tables de vérité de l'implication et de la négation, ce qui suffit pour avoir les autres qui s'en déduisent en appliquant les définitions données.

C01N
0111
1010

La question réciproque de savoir si une tautologie peut être obtenue comme thèse du système est précisément l'objet de la complétude. Il peut y avoir plusieurs interprétations associées à un système formel, on dira plusieurs modèles. Citons pour le calcul des propositions les circuits électriques avec interrupteurs.

Calcul équivalentiel

Il est possible d'obtenir un sous-système du calcul des propositions en n'utilisant que l'équivalence. Ce système est appelé calcul des equivalences ou calcul équivalenciel. Wajsberg a montré en 1932 qu'il pouvait se fonder sur les deux axiomes suivants:
  1. EEEprqEpEqr
  2. EEpqEqp
et en modifiant la règle de modus ponens comme suit:
si g et Egh sont des thèses du système alors h est aussi une thèse.
Lukasiewicz a montré un peu plus tard que le calcul équivalentiel pouvait être fondé à l'aide de la règle de substition et de la nouvelle règle de détachement sur l'unique axiome suivant:
  1. EEpqEErqEpr

La consistance et la complétude de la théorie.

Une fois développée une théorie formelle, on peut se demander si cette théorie n'est pas contradictoire, c'est-à-dire si toutes les EBF ne sont pas des thèses ce qui enlève tout intéret à la théorie: c'est la consistance. Et se demander aussi si toutes les thèses déduites avec ce système peuvent être interprétées comme vraies. C'est la complétude.

La non contradiction ou la consistance

Il y a plusieurs définitions de la non contradiction d'un système formel:

  1. Un système formel est dit consistant ou non contradictoire si, et seulement si, il est impossible d'obtenir à la fois dans ce système qu'une EBF est une thèse en même temps que sa négation.

  2. Un système formel est dit consistant si aucune variable n'est une thèse.

  3. Un système formel est dit consistant s'il y a au moins une EBF qui n'est pas une thèse.
Ces définitions peuvent ne pas être équivalentes suivant le système formel étudié. Il se trouve par chance que pour le calcul des propositions ces définitions sont équivalentes.

En 1921 Post a donné une preuve de la consistance de ce système. A la même époque Lukasiewicz possède la même preuve.

Ce type de démonstration est assez fastidieux. Donnons-en le schéma:

On construit une propriété que doivent vérifier les thèses. La propriété utilisée ici est la validité, c'est-à-dire que la thèse est une tautologie.

  1. On montre que cette propriété est vérifiée par les axiomes.

  2. On montre ensuite que si une EBF a cette propriété, l'expression obtenue à partir d'elle par les règles de substitution, détachement, ou remplacement a aussi la propriété. La propriété est héréditaire par l'application des règles.

  3. On démontre enfin que si p est une EBF alors p et Np ne peuvent avoir toutes deux la propriété.
la complétude

Le problème de la complétude consiste à se demander si le système permet d'obtenir toutes les thèses valides quel que soit le modèle de validité choisie. Est-ce qu'une EBF dont on sait qu'elle est une tautologie peut-elle être établie comme thèse du système ?

La encore il y a plusieurs définitions de la complétude:

  1. La complétude forte
    Un système formel est dit complet si, en utilisant ses axiomes et ses règles, on peut montrer de n'importe quelle EBF, soit qu'elle est une thèse du système, soit que jointe au système elle le rend contradictoire.

  2. La complétude faible
    Un système formel est dit complet si, en utilisant ses axiomes et ses règles, on peut établir comme thèses toutes les EBF valides.
La complétude forte, aussi appelée complétude syntaxique, traduit bien l'idée que l'on obtient toutes les thèses du système, puisque les EBF qu'on ne pas atteindre comme thèses ne pourront jamais l'être dans un tel système.

La complétude faible, aussi appelée complétude sémantique, nécessite une interprétation sémantique et donc la notion de validité. Elle traduit le fait que toutes les EBF valides, donc vraies, peuvent être démontrées comme thèses dans le système. Autrement dit on peut identifier le système formel à son modèle, et ne plus travailler que sur le modèle.

Comme la consistance, ces deux définitions peuvent ne pas être équivalentes suivant les systèmes. Pour le calcul des propositions elles le sont.

EXEMPLE
On peut voir comment on peut rendre contradictoire la logique des propositions en lui ajoutant comme axiome une EBF qui n'est pas une thèse:

soit Cpq l' EBF, ce n'est pas une thèse. Forçons-la à être une thèse: alors:

[1] Cpqsupposée thèse
[2] CCppNCpp règle [R1], Cpp remplace p et NCpp remplace q
[3] NCpp règle [R2], détachement C[2] - [3]

On obtient donc à la fois Cpp et NCpp comme thèse, contradiction.

La démonstration générale de la complétude faible du calcul des propositions est assez laborieuse, citons-en le principe.

  1. A toute EBF valide on peut faire correspondre une forme normale conjonctive également valide.

  2. Toute forme normale conjonctive valide est démontrable dans le système

  3. Si une forme normale conjonctive est démontrable dans le système, l'EBF qu'on lui a fait correspondre est aussi démontrable.

La complétude est une propriété très importante d'un système formel, car elle permet de s'affranchir de la technique très lourde de la démonstration et de travailler dans le modèle avec l'assurance d'y obtenir les mêmes résultats avec plus de facilité. Dans un système non complet où il n'y a pas équivalence entre le système et son modèle, il peut y avoir des EBF valides qui n'ont pas de démonstration formelle dans le système. C'est le cas pour les propriétés vraies indémontrables que l'on trouve en aritmétique formelle à la suite des célèbres travaux de Godel.

L'indépendance des axiomes.

Bien que moins fondamentale que la consistance et la complétude, il peut être intéressant de s'assurer que notre système ne dispose pas d'axiomes redondants. C'est le problème de l'indépendance des axiomes. C'est-à-dire que chacun d'eux ne peut pas être démontré à partir des autres. Le logicien Bernays publie en 1926 la première démonstration de l'indépendance des axiomes du calcul des propositions.

Le principe de la démonstration est basé sur la notion de modèle et de validité. On trouve un modèle qui réalise tous les axiomes sauf celui dont on veut montrer l'indépendance. Plus précisément on cherche une propriété qui est vérifiée par les axiomes. Cette propriété est héréditaire par les règles et elle n'est pas vérifiée par l'axiome dont on veut montrer l'indépendance. Cet axiome ne sera pas démontrable à partir des autres à cause de l'hérédité de la propriété par les règles. A titre d'exemple de notre système, montrons l'indépendance de l'axiome 3 de Lukasiewicz: CpCNpq

Comme propriété nous allons choisir des valeurs de vérité pour l'implication C et la négation N qui soient vérifiées par les axiomes 1 et 2, héréditaire par les règles, et non vérifiées par l'axiome 3. Ces valeurs sont données par les tables de vérité suivantes:

C01N
0111
1011

On remarque que ce modèle ne vérifie pas les valeurs traditionnelles données à la négation. Dans ce modèle la négation ne nie rien et c'est précisément pour cela que l'on a besoin des trois axiomes de Lukasiewicz pour fonder le calcul des propositions.

La propriété est héréditaire par les règles.
Elle est vérifiée pour l'axiome 1, c'est évident puisqu'il n'utilise pas la négation. Elle est vérifiée par l'axiome 2, mais il faut un petit calcul:

CCN000 = CC100 = C00 = 1

CCN111 = CC111 = C11 = 1

La propriété n' est pas vérifiée pour l'axiome 3:
C1CN10 = C1C10 = C10 = 0
L'axiome 3 ne sera jamais démontré à partir des autres.

Conclusions

La logique des propositions que nous venons de passer brièvement en revue est le système formel le plus simple qui possède les bonnes propriétés de non contradiction et de complétude syntaxique. Il permet de bien comprendre ce qu'est un système formel.

Il existe de nombreuses autres présentations d'un tel système que nous n'avons pas abordées, comme par exemple les quatre axiomes d'Hilbert-Ackermann, les trois axiomes de Frege-Lukasiewicz. Il existe des systèmes a 9 ou 11 axiomes. On a dénombré une vingtaine de présentations axiomatiques différentes du calcul des propositions. Citons pour la performance le système à un axiome basé uniquement sur l'incompatibilité:

[p | (q | r)] | [(t | (t | t)) | ((s | q) | ((p | s) | (p | s)))]
bien sur il faut modifier la règle de détachement comme suit:
Si a est une thèse et a | (b | c) est aussi une thèse alors on peut admettre c comme thèse.
On peut donner cet axiome sans parenthèses en utilisant la notation de Lukasiewicz:
DDpDqrDDtDttDDsqDDpsDps